Thursday, December 01, 2005

Le ré-enfantement du monde

La vie des femmes est rythmée par leurs règles, que l’on prend pourtant soin de cacher aux yeux de tous. Gloria Steinem a imaginé le temps d’un livre un monde où les menstruations seraient masculines.
- par Aurélie Plaçais

‘Machin’, ‘truc’, ‘ragnagna’, ‘mais tu sais bien’, ‘truc de fille’, ‘mauvaise période’, ‘règles’ ; autant de codes inventés pour désigner ce que l’on n’ose jamais prononcer tout haut : les menstruations. Avez-vous déjà entendu une petite fille ou une femme parler ouvertement et sans gène de ses menstruations ? Moi non plus ! Et pour cause, depuis le premier jour où, petites filles, les femmes ont vu du sang coulé de leur sexe, ça n’a été sujet qu’à tracasserie. D’abord ‘ça fait peur’ puis ‘ça fait mal’. C’est toujours trop tôt: ‘je n’étais pas encore prête’ ; ou trop tard : ‘j’avais honte car toutes mes copines les avaient et pas moi’. Mais surtout, c’est le sujet de moquerie préféré des garçons et des hommes, c’est à celui qui verra le premier du sang sur la chaise ou le pantalon de sa sœur ou copine et qui ébruitera la rumeur. Enfin c’est le petit ami ou le mari qui refuse tout rapport sexuel pendant cette période sous prétexte que c’est ‘sale’ alors que ce n’est pas plus ‘sale’ que le sperme.

Un sang impur

A bien regarder, ce phénomène n’est pas étrange. La perte mensuelle de sang chez les femmes a toujours été considérée en termes négatifs : sujet de honte qu’il convient de cacher, lié à l’impureté, à la saleté et à la souffrance. Selon la tradition judéo-chrétienne, la femme doit se retirer du monde pendant ses menstruations, elle ne doit être approchée d’aucun homme et tout ce qu’elle touche est considéré comme salit (Le Léviatan.15 :19-30). De même, dans la tradition arabo-musulmane, le sang est considéré comme impur, la femme est ‘malade’ et les hommes ne doivent pas s’approcher d’elle tant qu’elle ne se sera pas purifiée (le Coran 2 :222). Ainsi, pendant leur menstruation, les femmes ne peuvent pas se tourner vers la Mecque, elles doivent cesser le Ramadan durant cette période et prolonger le jeûne d’une semaine plus tard. Enfin d’après la tradition chinoise confucéenne et taoïste, le sang féminin est associé à la froideur, à la saleté, à la mort alors que le sperme par exemple est lié à la chaleur, à la puissance et à la vie.

Le pouvoir de donner la vie

Pourtant les femmes devraient être fières de ce pouvoir qu’est le leur : le pouvoir d’enfanter. En effet, les menstruations sont un indicateur de bonne santé et de bon fonctionnement de l’appareil reproductif. Si une femme ‘a ses règles’, c’est parce qu’il n’y a pas eu fécondation de l’ovule et que la muqueuse qui devait servir à accueillir un potentiel ovule fécondé se désagrège. De même si les femmes ‘souffrent’ c’est parce que le muscle qui active l’écoulement du sang est en bonne santé. Elle devrait donc se réjouir et fêter cet heureux événement. A l’inverse, maintenant qu’il est scientifiquement possible, même si politiquement admis dans très peu de pays, de contrôler les naissances, ce peut être un soulagement, celui de se dire ‘ouf je ne suis pas enceinte’. Ce serait donc en réalité le fait de ne pas avoir ses menstruations qui poserait problème comme témoin d’une mauvaise santé ou d’une grossesse non désirée.

Les règles au masculin


En 1983, dans Outrageous Acts and Everyday Rebellions Gloria Steinem a écrit un chapitre succulent intitulé : ‘Si les hommes avaient des menstruations’. Elle imagine un monde où les hommes, fiers de leur ‘règles’ l’utiliserait comme preuve de leur supériorité, de leur capacité innée à mesurer le temps, et par-là même à exceller dans les matières scientifiques. Les protections hygiéniques seraient gratuites, des recherches seraient faites du coté des crampes et pas des attaques cardiaques, des émissions de télévision et la presse en parleraient ouvertement. Le début des menstruations serait l’occasion de cérémonies grandioses, la ménopause serait célébrée comme symbole de la fin du cycle de la sagesse et les rapports sexuels pendant la période seraient privilégiés car procurant plus de plaisir. Elle conclut en disant : ‘la vérité c’est que si les hommes avaient des menstruations, ils continueraient à justifier leur pouvoir’.

Ainsi les menstruations ne sont pas un ‘truc’ infamant en soi, la vision actuelle que nos sociétés en ont a été construite au fil du temps quelque soit le pays d’origine, la religion et la tradition. Cette vision si négative est peut-être un signe de la volonté des hommes de contrôler ce à quoi ils ne peuvent prétendre : le pouvoir de donner la vie. En avilissant le processus et en accentuant l’aspect méprisant, ‘sale’ et douloureux de l’enfantement, les hommes ont réussi à écarter le danger que représenterait une femme consciente de son pouvoir

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