Monday, March 20, 2006

Women in reggae

Il parait quasiment impossible d’écrire un article sur le reggae sans que les lecteurs soient immédiatement submergés d’images : des rastas bien sûr, la Jamaïque, la ganja, des plages de sable blanc sublimes, des lagons, un univers calme et serein… Seulement voilà, la Jamaïque et le reggae ne sont rien de tout cela.
- Par Monkey Stitou
Cette île des Caraïbes est avant tout une ancienne colonie britannique, aujourd’hui encore très marquée par un certain puritanisme. L’Eglise y demeure très présente et les hommes y sont tout puissants, face à des femmes qui ne peuvent que se soumettre.

A cet héritage colonial, il faut ajouter les conséquences désastreuses de l’indépendance. En effet depuis 1962, les gouvernements se succèdent sans parvenir à surmonter les difficultés économiques du pays, impuissants face à la montée de la violence et à l’omnipotence des gangs armés par ces mêmes gouvernements.

En réalité, la Jamaïque est un pays aussi violent que pauvre et la vie quotidienne y est particulièrement difficile pour les « sufferers », les plus démunis.
Dans cet univers, bien loin des clichés que l’industrie touristique s’applique à mettre en scène dans quelques stations de la côte nord, les femmes occupent sans nul doute la place la plus inconfortable.

Comme dans tous les pays sous développés ou ravagés économiquement, être une femme n’est pas un avantage. Loin s’en faut.
Deux opportunités : se soumettre et survivre ou bien se battre et survivre.

Face à ce choix qui n’en est pas un, nombreuses sont celles qui ont préféré le combat. Et en Jamaïque, en l’occurrence, c’est essentiellement par la musique qu’elles ont réussi, petit à petit, à s’imposer parmi des artistes souvent machos, à l’image de toute une société, pour finalement faire reconnaître leurs droits, sexuels notamment.

A peu de choses près, il est possible d’opposer deux catégories de combattantes : les rastas d’abord, qui véhiculent un message d’amour universel, de respect et rejette toute violence, en particulier envers les femmes, et les autres, celles qui ont décidé d’utiliser les mêmes armes que les plus misogynes des hommes.

La position des femmes rasta est tout à fait intéressante puisqu’elles véhiculent l’image de femmes très fières et fortes. Pourtant leur position est pleine d’ambiguïté si l’on considère leur religion. En effet, rastafari qui est une philosophie de vie basée essentiellement sur le strict respect de l’Ancien Testament n’est pas particulièrement progressiste en matière de droits des femmes. Celles-ci doivent garder leurs cheveux couverts, ne porter que des jupes longues, pas de maquillage…
Néanmoins, il n’en demeure pas moins que ces femmes rasta, stars de la chanson à l’internationale, participent à ce que les femmes soient mieux considérées en Jamaïque.
A l’opposé, la deuxième catégorie de combattantes paraît d’autant plus intéressante que ces femmes ont eu l’intelligence de retourner contre les hommes les armes que ceux-ci utilisaient contre la gent féminine.

Par exemple, il existe depuis très longtemps dans la musique jamaïcaine des chansons que l’on pourrait qualifier de grivoises. Il s’agit du slack, qui signifie littéralement laisser-aller. Dans ces chansons, il est question de sexe et, comme si l’un n’allait pas sans l’autre, le machisme vulgaire en est la toile de fond.Cette branche du reggae était considérée comme un moyen de relativiser et d’aborder des sujets plus légers que le douloureux quotidien de l’époque.

Mais dès les années 1960, alors que l’un des artistes les plus connus du moment, Prince Buster, sort le tube Wreck a pum pum, les sexy girls lancent la contre attaque avec leur morceau Wreck a buddy, sur la même musique. Cette réponse des femmes aux hommes marque le début d’un long combat où les artistes féminines n’auront de cesse de répondre à leurs homologues masculins en utilisant leurs modes d’expression pour combattre leur misogynie.

En effet, puisque la société jamaïcaine des années 1970-80 baignait encore dans un machisme ambiant, les femmes décidèrent de prendre le micro comme les hommes pour souligner les limites de cette misogynie.A l’époque, la mode est aux « deejays », c’est-à-dire les premiers « rappeurs », qui ne chantent plus sur la musique mais parlent de manière plus ou moins saccadée et rapide sur les morceaux.Une série de femmes deejays voit alors le jour avec des textes très revendicatifs comme par exemple Sister Charmaine en duo avec Peter Metro sur le morceau Dibi dibi girl où les deux artistes jouent le rôle du mari et de son épouse, le premier accusant sa femme d’être une mauvaise maîtresse de maison et la seconde reprochant à son époux de ne pas l’aider le moins du monde dans les tâches ménagères.

Un peu différemment, près d’un demi siècle plus tard, des femmes se sont imposées dans le dancehall music, une autre branche de la musique jamaïcaine, dans la lignée du reggae.
Dans ce milieu où sexe et machisme sont une évidence qui ne mérite même pas d’être discutée, les artistes féminines n’hésitent pas à chanter des paroles parfois obscènes, en évoquant le tabou de la masturbation féminine ou encore en se battant contre une tradition qui voudrait que les hommes jamaïcains, et les rastas notamment, ne pratiquent pas le cunnilingus pour ne pas se salir et s’abaisser devant la femme.

Toutefois, le slack, comme son nom l’indique ne parle que de sexe, et donc, si revendications il y a, elles demeurent strictement sexuelles.En outre, il serait malhonnête de ne pas voir dans ce genre musical une forme de pornographie qui rend la revendication très délicate et qui pousse de nombreuses artistes à tomber dans une mise en scène du sexe aussi vulgaire et dépourvue de combat que celle des hommes.

Néanmoins, dans le ragga et le dancehall des années 1990 et 2000, de nombreuses chanteuses se sont tout de même fait une place sans chanter du slack. Parmi celles-ci, Lady G est une artiste qui a fréquemment connu de grands succès sur l’île tout en condamnant la violence conjugale et en prônant l’égalité entre les sexes, notamment dans la chanson Equal Rights.

Il semblerait donc qu’en utilisant un des moyens d’expression favori des jamaïcains, à savoir la musique, les femmes dans le reggae soient parvenues à faire entendre leurs voix et à réaffirmer leurs droits les plus élémentaires, qu’il s’agisse de droits sexuels, de respect ou d’égalité hommes-femmes dans la société.